Edito: Désobéir, un acte d'humanité

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Par Martial Dumont

Voilà des mois que vous, nous, tous, respectons les mesures sanitaires. Avec courage. Avec raison. Et nos efforts payent puisque, pour l'heure, en dépit des oiseaux de mauvais augure, la troisième vague annoncée de l'épidémie de Coronavirus n'a pas démarré malgré les retours de vacances et la rentrée scolaire. On entrevoit le bout du tunnel, aidés aussi par vaccination.

Oh bien sûr depuis les dernières semaines, on ne va pas se mentir: plus personne ne respecte les règles stricto sensu. Parce qu'on n'en peut plus. Parce qu'on a besoin d'air. Parce qu'on a besoin des autres. Parce qu'on a besoin de vivre.

Mais le fait que les courbes de l'épidémie n'explosent pas est témoin d'une chose: si nous ne prenons plus les mesures au pied de la lettre, il n'y a pas d'exagération. En clair, hormis les dérapages inéluctables mais ponctuels, nous gérons ce moment particulier en "bon père de famille".

Oui, nous prenons des risques. Mais mesurés. La plupart d'entre nous ont appris à reconnaître quand nous nous mettons en danger ou faisons prendre des risques à ceux qui nous entourent. Nous sommes un peu dans la position de ce papa ou de cette maman qui laisse monter son enfant seul l'escalier, en étant discrètement présent derrière lui au cas où.

C'est exactement ce qu'a fait Quentin Dujardin dans l'église de Crupet en jouant de la guitare devant trois pelés. C'est exactement ce qu'a fait le CPAS de Charleroi en organisant un micro-carnaval pour les résidents d'une maison de repos. C'est exactement ce que nous faisons tous quand nous allons nous balader en pleine nature à 5 ou 6 au lieu de quatre. L'entretien de la flamme de vie qui, rappelons-le, est de toutes façons une maladie mortelle.

Bien sûr, ok, Quentin Dujardin ne pouvait pas légalement réunir 15 personnes dans une église pour un petit concert de guitare: ce n'était pas une messe.

Bien sûr, ok, le CPAS de Charleroi ne pouvait pas faire venir une dizaine de musiciens jouer à 20 mètres des résidents (par ailleurs vaccinés). Le député Denis Ducarme s'est d'ailleurs empressé de le rappeler de manière sentencieuse en criant presqu'au sacrilège, oubliant au passage que chaque week-end des milliers de gens se pressent dans les centres commerciaux. La culture n'est pas essentielle, n'est-ce pas, l'économie bien... 

Se réunir à quelques-uns, dehors, doit-il donc être considéré comme un délit, voire un crime?

Mais bon sang, il est temps à présent, de bien faire la distinction entre la loi et l'esprit de la loi! Il est temps de faire un minimum confiance à l'intelligence collective qui prouve depuis des mois, bon an mal an, qu'elle existe bien.

Il est temps de laisser se développer des initiatives raisonnables qui entretiennent le feu de l'espoir. Particulièrement quand elles concernent des pans de la société qui souffrent particulièrement de l'isolement.

Il est temps de laisser de l'air à la culture, à la joie, à la convivialité, à l'amour, à l'amitié, à la vie. En restant prudents, évidemment.

Car la question n'est plus de savoir si le moindre assouplissement ou le moindre écart, la moindre tolérance, risquent de créer un appel d'air au non-respect des mesures susceptibles d'entraîner un nouveau chaos sanitaire.

La question est de savoir aujourd'hui dans quelle société nous voulons vivre. Est-ce bien la société que nous voulons, celle où la police débarque dans une église pour stopper net un moment de vie en brandissant la menace d'une amende salée?

Est-ce bien là la société, celle où un député hurle au scandale parce qu'un trompettiste était peut-être à 1,45 mètres du clarinettiste pour égayer un peu le quotidien de seniors en détresse? C'est ça qu'on veut? Dégoûter la population jusqu'à ce qu'elle fasse un grand bras d'honneur et ne respecte plus rien, en risquant là, effectivement, de faire repartir l'épidémie? C'est ça qu'on veut?

Alors oui. Faisons des choses interdites. Raisonnablement, intelligemment, sans risques inutiles. De la désobéissance civile? Oui peut-être dans un certain sens. Mais il est des moments dans l'Histoire où désobéir et prendre un minimum de risques est bien moins mortel que le dogmatisme rigoriste. Qu'il soit sanitaire ou autre.

Car comme l'écrit le philosophe Frédéric Gros, "à partir du moment où on obéit comme des machines, désobéir devient un acte d'humanité".

 


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