Entre contraintes régionales, poids des “4P” et choix sensibles, le conseil communal de Charleroi a adopté son budget 2026. Un exercice d’équilibre présenté par la majorité et discuté par l’opposition.
Avant ça...
La séance de ce dernier conseil communal de l'année a débuté par une question de la présidente, Mme Monforti : « Est-ce que Emilie Liégeois est présente pour sa prestation de serment ? » Elle est la première suppléante pour remplacer Anthony Dufrane, démissionnaire. Faute d’avoir prêté serment après deux convocations, elle est donc présumée avoir renoncé à son mandat de conseillère communale. Pour rappel, Emilie Liégeois avait rapidement annoncé sur ses réseaux sociaux qu’elle ne siégerait pas : « Je ne souhaite plus être associée au MR, ni à certaines prises de position récentes de M. Bouchez, avec lesquelles je suis en profond désaccord. (…) »
Ensuite, un citoyen, Grégory, président de l’ASBL Comité des Fêtes de la Madeleine, a interpellé le conseil communal concernant l’avenir de la Madeleine face aux mesures budgétaires communales : augmentation de la redevance foraine de 25 %, fin de la gratuité du matériel communal, etc. Maxime Felon (PS), échevin du Folklore, s’est voulu rassurant : « J’entends travailler à la rédaction d’une convention propre à la Madeleine pour préserver ce folklore phare, et plus largement le folklore carolo. Je vous invite à nous rencontrer pour en discuter, avec les autres acteurs carolos, afin de concilier nos obligations budgétaires et la préservation du folklore. Le folklore carolo ne sera pas négligé. » Le citoyen a toutefois insisté sur le caractère urgent d’une prise de position claire afin de pouvoir fixer le budget de l’édition 2026.
Dans quel contexte Charleroi fixe-t-elle son budget ?
Les discussions budgétaires ont ensuite débuté par des présentations. Le bourgmestre, Thomas Dermine (PS), a d’abord dressé le contexte global, revenant sur l’impact des « 4 P » : pensions, pauvreté (CPAS), police et pompiers. « On y revient souvent, mais les 4P mangent une partie importante de notre budget », a-t-il rappelé. Concrètement :
- 2025 : 37 % des dépenses communales carolos
- 2026 : 38 % des dépenses communales carolos
- 2030 : 50 % des dépenses communales carolos
Ça signifie que, lorsque l’on commence à élaborer un budget à Charleroi, un euro sur deux est déjà affecté à des dépenses qui ne sont pas communales.
À titre de comparaison, dans certaines communes de la périphérie, ces dépenses représentent environ 15 %. Selon le bourgmestre, dans ce contexte, même en appliquant strictement les mesures du plan Oxygène, un déficit structurel subsistera à Charleroi. Prochainement, la Province devrait reprendre les zones de secours pour un montant estimé à 11 millions d’euros. Mais, dans le même temps, la réforme du chômage entraînera une augmentation équivalente des contributions au CPAS : 11 millions gagnés d’un côté, 11 millions perdus de l’autre.
Pourquoi taxer l’aéroport ?
Dans ce contexte, la Ville a bâti son budget autour de quatre lignes de conduite :
- défendre les ménages carolos ;
- défendre les travailleurs de la Ville ;
- défendre l’offre et l’accessibilité des services publics ;
- maintenir l’attractivité de la Ville.
L’idée d’une taxe sur l’aéroport de Charleroi (BSCA) s’est imposée comme une piste privilégiée. « BSCA, c’est un bénéfice de 25 millions d’euros en 2025. 25 % partent sous forme d’impôt des sociétés au fédéral. La part résiduelle, soit 19 millions, est distribuée aux actionnaires (un privé en Italie et la Région wallonne). Nous allons taxer l’aéroport, qui a la capacité de le faire. Cette mesure diminuera simplement la part de dividendes qui remonte vers l’Italie, le fédéral et la Région. »
Des investissements volontairement limités
Pour 2026, la Ville a fait le choix de réduire fortement ses dépenses d’investissement. 20 millions d’euros seront empruntés, soit 3 fois moins qu’habituellement. « Certains projets ne se feront pas tout de suite. Ils poursuivront leur progression administrative et technique afin d’être mis en œuvre dès que possible. » Deux tiers des 100 projets présentés dans le PST seront néanmoins lancés grâce aux ressources internes.
Thomas Dermine a conclu son intervention par une question : quid après 2026 ? Selon lui, il devient urgent de refinancer structurellement les grandes villes, notamment via une révision du Fonds des communes (pourquoi Anvers perçoit-elle le double des dotations de Charleroi ?), une mutualisation financière entre communes. Sans prolongation du plan Oxygène au-delà de 2026, Charleroi, comme d’autres grandes villes, pourrait se retrouver dans une situation extrêmement délicate.
Quelques chiffres clés
Éric Ridolfo, directeur du Budget de Charleroi, a présenté plusieurs chiffres afin d’expliquer comment la Ville est parvenue à proposer un budget 2026 équilibré, comme l’impose la convention Oxygène.
À retenir :
- Recettes des exercices propres 2025 : 577 887 104 € (-0,48 % par rapport à 2024)
- Recettes de prestations : +3,2 millions d’euros (augmentation des locations de salles et des tarifications)
- Dépenses de transfert (4P) : 240 303 135 € (-4,32 % par rapport à 2025, grâce à des subsides et dotations)
Que le débat commence !
Chaque groupe politique disposait ensuite de 20 minutes pour réagir. En résumé, du côté de l’opposition, ça donnait ça :
MR-IC
« Je suis d’accord : même si Charleroi joue le parfait élève, un déficit subsistera », a reconnu Nicolas Tzanetatos (MR-IC). « Mais je ne partage pas votre analyse sur l’origine de ce déficit. Je regrette que cette prise de conscience sur les grandes villes survienne lorsque votre parti n’est plus majoritaire aux autres niveaux de pouvoir. » Le conseiller a rappelé que, durant 20 ans, les ministres des Pouvoirs locaux étaient socialistes et que des mesures auraient pu être prises plus tôt.
Jean-Noël Gillard, chef de groupe MR-IC, a dénoncé un budget qu’il qualifie de « carnet de plaintes » : « Ce budget manque de vision pour Charleroi. La Ville vit au-dessus de ses moyens, la Région le dit elle-même. » Il pointe également une mauvaise gestion des chantiers, marquée par des contentieux et des dépassements budgétaires. « Le citoyen paie la dette, et la réponse de la Ville est une fiscalité plus lourde. »
Concernant l’aéroport, Nicolas Tzanetatos s’inquiète :
Taxer un outil qui fait rayonner Charleroi, qui crée de l’emploi et de la visibilité, ce n’est pas une bonne idée.
PTB
Pauline Boninsegna, conseillère et cheffe de groupe PTB, a dénoncé les politiques d’austérité : « Les économies des gouvernements MR–Engagés se font toujours sur le dos des communes et des citoyens, jamais sur les privilèges des politiques. » Si le PTB partage le constat d’austérité, il rejette les choix opérés par la majorité : « On étrangle à nouveau les citoyens et les services publics pour des économies de bout de chandelle : augmentation du précompte, des sacs poubelles… »
Elle critique également l’idée de faire payer davantage les non-Carolos : « On a besoin d’une vraie solution solidaire via le Fonds des communes, pas de sortir la calculatrice dès qu’un Fleurusien ou un Anderlusien arrive. » Enfin, le PTB estime que le gel des investissements met en péril les infrastructures : centres culturels, stades et bâtiments publics risquent de se dégrader davantage.
Toutes ces mesures auront des impacts graves sur la vie quotidienne des citoyens et citoyennes.
Réponse du collège
Le bourgmestre, Thomas Dermine, a répondu aux critiques de l’opposition : « En effet, ce n’est pas en faisant payer plus cher un bain à l’Hélios à un Fleurusien qu’on va régler nos problèmes. En revanche, je parle de mutualisation des coûts à l’échelle des bassins de vie. » Sur le financement des grandes villes, il ajoute : « Il y a un vrai problème structurel en Wallonie depuis des années. Et parlons d’hypocrisie. Comme l’indiquait la conseillère PS Isabella Greco, vous êtes conseillers communaux MR à Charleroi, mais à la Région, vous appauvrissez Charleroi : moins 2 millions d’euros de dividendes pour la Ville ! Je précise que Les Engagés n’ont pas suivi cette décision. »
Concernant l’aéroport, le bourgmestre poursuit : « Le vrai scandale, c’est que la Région, avec de l’argent public, accorde des subsides qui seront ensuite reversés à un actionnaire privé italien. La privatisation est une idée qui peut aussi se discuter, quand on voit qu’en Flandre, on fait exactement l’inverse. »
Thomas Dermine a également insisté sur le fait qu’il s’agit d’un budget qui tient compte à la fois des responsabilités de la Ville en tant qu’employeur et des contraintes imposées par le plan Oxygène.
Budget Police / CPAS
Le budget 2026 consacré à la zone de police de Charleroi a également suscité des réactions. « Je pense que votre budget ne permettra pas de faire reculer l’insécurité, pourtant bien présente à Charleroi. Je m’attendais à des injonctions plus fortes et à davantage de moyens pour notre zone », a regretté Denis Ducarme (MR-IC). Il a aussi souligné le soutien du fédéral : « Le gouvernement va investir un million d’euros pour des caméras intelligentes à Charleroi. Contrairement à ce que vous disiez, le fédéral vous soutient. » De son côté, le PTB a pointé la tour de police, jugée coûteuse en raison de ses frais de maintenance.
Le bourgmestre a salué l’investissement fédéral, tout en relativisant sa portée : « Le ministre comprend les enjeux de sécurité des grandes villes comme Charleroi. Mais on parle de 7 millions d’euros pour Anvers, un million pour Charleroi, 1 pour Liège… Alors battez-vous un peu ! Une caméra, c’est 70 000 euros : on en place dans 4 rues ? On va dans la bonne direction, mais battez-vous. »
Concernant le budget du CPAS, le MR n’a pas souhaité intervenir, un silence relevé par le PTB. « Quand j’entends dire qu’on a vécu au-dessus de nos moyens… Est-ce cette mère solo qui a reçu des langes pour ses enfants ? Cette personne qui fréquentait un restaurant social et qui n’aura bientôt plus cette possibilité ? », s’est interrogée la conseillère Sofie Merckx. Elle a rappelé que 7 500 personnes seraient touchées par la réforme du chômage. « Une compensation est prévue pour les CPAS, oui, mais on parle aussi de la disparition de 132 équivalents temps plein, ce qui me semble énorme pour poursuivre les missions du CPAS. »
Le président du CPAS, Paul Van Cauwenberghe, a répondu : « Je me plains depuis longtemps de la fin des subsides, qui entraîne des pertes d’emplois. » À noter qu’avant l’ouverture du conseil communal, un conseil conjoint Ville-CPAS s’est tenu afin de mettre en avant les futures synergies entre la Ville, le CPAS et la zone de police, avec l’objectif de réduire les dépenses et d’optimiser le personnel. Jean-Noël Gillard (MR-IC) y avait regretté que l’on ne s’attaque pas davantage à l’augmentation du Revenu d'Intégration Sociale ou aux problématiques liées au sans-abrisme. Le bourgmestre lui avait répondu : « Les phénomènes d’errance et de précarité ne vont pas s’améliorer, car il y aura des exclus du chômage. La précarité mène à l’insécurité. C’est le résultat des mesures du gouvernement fédéral. Nous devons composer avec les dépenses que vous nous imposez. »
Le budget a été voté par la majorité, contre l’opposition ; le PTB s’est abstenu.
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